La formation de la Cour Nationale du Droit d’Asile : La réforme relative au juge unique

07/03/2023

La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) est une juridiction administrative spécialisée qui dispose d'une compétence d'attribution définie par les articles L.131-1 et R.532-1 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). 

Cette compétence porte sur les décisions administratives prises en matière de reconnaissance de la qualité de réfugié et de bénéfice de la protection subsidiaire, à l'exclusion de la reconnaissance de la qualité d'apatride, dont le contentieux relève de la compétence de la juridiction administrative de droit commun.

À travers sa compétence contentieuse, l'office du juge de l'asile est dit de « plein contentieux », c'est-à-dire qu'il n'est pas simplement juge de la légalité de la décision initiale mais qu'il reprend l'ensemble des éléments de faits et de droit pour se prononcer sur l'obtention du statut demandé par l'intéressé.

La procédure devant la CNDA est gratuite. En principe l'audience est publique, mais un huis-clos peut être accordé par le président en cas de récit particulièrement sensible pour le requérant si la personne en fait la demande ou si celui-ci est mineur. De plus, le recours au ministère d'un avocat n'est pas obligatoire.

La composition de la formation collégiale de jugement a changé depuis la réforme de 2003. En effet, la Commission des recours des réfugiés était présidée par un membre du Conseil d'Etat et comprenait un représentant du conseil de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et un représentant du Haut-Commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR). Aujourd'hui, la formation collégiale est constituée d'un président appelé « président de formation de jugement ». Il est accompagné par deux assesseurs. L'un est nommé par le Haut-commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR) sur avis conforme du vice-président du Conseil d'Etat et l'autre est nommé par le vice-président du Conseil d'Etat. La spécificité depuis cette réforme est que le représentant du HCR doit être une personnalité qualifiée et de nationalité française. Cela s'explique par le fait que la CNDA est la seule juridiction à comprendre un représentant d'une organisation internationale parmi ses membres, à savoir le Haut-commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés, qui participe de ce fait à l'exercice d'une mission de souveraineté nationale.

La formation collégiale est la procédure normale, la CNDA a cinq mois pour juger le recours. Néanmoins, il est possible d'être placé en procédure accélérée. Dans ce cas, le président de la Cour ou un président de formation désigné par le président, doit statuer dans un délai de cinq semaines à compter de sa saisine. Cette procédure accélérée peut être contestée, en plus du recours contre la décision de l'OFPRA.

Plusieurs raisons peuvent amener à être placé en procédure accélérée conformément à l'article L.531-27 du CESEDA:

  • Le refus de réaliser une prise d'empreintes, si elles sont illisibles ou effacées ;
  • Les documents d'identité du requérant ne sont pas authentiques ;
  • Mauvaises informations sur le requérant et sur son trajet ;
  • La préfecture s'aperçoit que l'asile a déjà été demandé en France sous un autre nom ;
  • Mensonge sur les dires du requérant concernant son entrée en France depuis plus de quatre-vingt-dix jours ;
  • Le requérant est placé en centre de rétention administrative (CRA) à la suite de la délivrance d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) par la police.

Il est aussi possible que la préfecture place obligatoirement le requérant en procédure accélérée selon les conditions prévus par l'article L.531-24 du CESEDA :

  • Il vient d'un « pays d'origine sûr » au sens de l'article L. 531-25
  • Il fait une demande de réexamen de sa demande d'asile
  • Le demandeur est maintenu en rétention en application de l'article L. 754-3

De surcroît, l'OFPRA peut également placer le requérant en procédure accélérée après étude de son récit.

Toutefois et contrairement à la procédure accélérée où c'est le juge unique qui statue, la formation dite "normale" dispose de plusieurs avantages.

Elle permet une collégialité, c'est-à-dire un ensemble de juges, cela est favorable pour le requérant. Le fait qu'il y ait trois juges offre un véritable échange entre ces derniers, qui peuvent donc prendre un véritable recul sur la décision. De plus, les juges rendent leurs décisions en cinq mois, ce qui leur laisse le temps d'examiner le recours du requérant. Cela favorise une bonne administration de la justice de l'asile. Ce principe de bonne administration de la justice permet un droit au requérant à être informé dans un délai raisonnable dans la prise de décision administrative, le traitement des demandes des administrés dans les meilleurs délais, dans le respect des droits de la défense, le droit à l'information et de son droit à s'exprimer. Ainsi, le requérant est suffisamment écouté et interrogé pendant la procédure normale.

Effectivement, seulement treize dossiers sont étudiés en procédure collégiale et un dossier peut nécessiter une heure, comparativement à la procédure accélérée (où le système du juge unique s'applique) qui étudie beaucoup de dossier dans un temps moindre.

Bien que la procédure normale soit plus longue, elle est un gage de minutie, de bonne administration de la justice pour le requérant, lorsque la procédure accélérée paraît superficielle.

Ainsi, cette collégialité ne laisse ni place à l'arbitraire ni à la partialité des juges c'est-à-dire que les juges ne peuvent prendre des décisions injustes ou inéquitables sans se référer strictement aux règles de droit, (ou en se laissant influencer par une ou plusieurs circonstances passagères ou extérieures au fait). Au contraire, elle renforce l'équité et l'objectivité des décisions, assurant ainsi une qualité de justice fondamentale dans le domaine de l'asile au regard de la sensibilité des dossiers qui peuvent être traités.

Le projet de loi visant à contrôler l'immigration et à améliorer l'intégration, déposé au Sénat le 1er février 2023, modifie la formation de jugement de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). En dépit du principe de collégialité étudié, le juge unique deviendra la formation de principe de la Cour. Il ne sera plus uniquement requis en cas de procédures accélérées, procédures que ledit projet tend d'ailleurs à pérenniser. L'exception deviendra le principe, mettant ainsi la collégialité sur le banc de touche.

Le gouvernement justifie cette réforme par les bénéfices censés découler de la généralisation du juge unique. L'accélération des procédures au sein de la Cour en constitue la pierre angulaire. Puisqu'un seul juge sera requis pour le traitement d'un recours, davantage de recours pourront être traités en un temps réduit. En effet, d'un point de vue pragmatique, c'est comme si le nombre de juges était triplé. Cet accroissement devrait donc réduire le nombre d'affaires pendantes, ce qui n'est pas négligeable au regard du nombre d'affaires que la Cour a à traiter chaque jour. De plus, le temps d'audience sera diminué puisqu'il n'y aura qu'un seul juge qui s'exprimera, ce qui permettra également d'accroître le nombre d'affaires traitées par chaque juge. En clair, le juge unique devrait « désengorger » la Cour. En effet, la réduction des délais de traitement des affaires est un objectif recherché par ladite réforme, tel que le relève le Conseil d'État dans son avis consultatif du 1er février 2023.

Malgré les effets positifs avancés par le gouvernement sur l'usage généralisé du juge unique au sein de la Cour, il n'en demeure pas moins que des doutes relatifs au respect des droits du demandeur d'asile persistent.

Le premier est relatif à l'équité de la procédure, qui repose sur son objectivité. Beaucoup d'affaires traitées par la Cour sont sensibles. Dès lors, une seule personne peut-elle juger de telles affaires avec un maximum d'objectivité ? Aussi, l'éclatement de la jurisprudence en matière de droit d'asile est un des risques sous-jacent à la généralisation du juge unique, et vient également heurter le principe d'objectivité des décisions rendues.

De plus, chaque juge qui siège au sein de la Cour n'a pas forcément suivi une formation spécialisée en droit d'asile, ce qui suscite des difficultés moindres lorsqu'il est accompagné de deux assesseurs pouvant l'être. Or, quand il sera seul face au dossier, quand sera-t-il de l'effectivité du respect du droit d'asile ?

Bien que l'accélération de la procédure devant la Cour soit un objectif recherché par une majorité, la qualité de la justice ne doit pour autant pas être mise de côté en oubliant les effets de la réforme sur les demandeurs d'asile, qui restent les premiers concernés par celle-ci.

Après avoir étudié les impacts de l'usage du juge unique en tant que procédure normale au sein de la CNDA, de nombreuses craintes peuvent donc être émises. Ce constat est renforcé par l'avis n°23-02 publié le 23 février 2023 par la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui fait part de son inquiétude quant à l'article 20 du projet de loi (relatif au juge unique en tant que procédure normale).


SOURCES:

- La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) : une juridiction neuve, confrontée à des problèmes récurrents (senat.fr)

- Avis du Défenseur des droits n°23-02 du 23 février 2023, point 3.2 : Le recours au juge unique à la Cour nationale du droit d'asile (pages 11 et 12)

- GISTI⋅Demander l'asile en France : Les démarches au guichet unique (préfecture et Ofii)

- Légifrance

- Projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, 15 mars 2023 « Il n'y aurait en outre plus de lien entre la procédure suivie devant l'OFPRA et les modalités de jugement devant la CNDA, qui pourrait aussi bien renvoyer en formation collégiale des décisions prises en formation accélérée ou les maintenir en juge unique ».

- Avis consultatif du Conseil d'État sur un projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, 1 février 2023

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