Les audiences de prolongation de rétention au Tribunal judiciaire de Marseille

30/03/2023

Jeudi 30 mars, nous avons eu l'occasion d'assister à des audiences du JLD tenant à la prolongation, ou non, de la rétention administrative d'étrangers.

Comment un étranger peut-il se retrouver dans un centre de rétention administrative ?

Un étranger présent sur le territoire national sans titre de séjour valide se trouve en situation irrégulière. Il se peut qu'à la suite d'un contrôle d'identité par les forces de l'ordre par exemple, l'étranger ne soit pas en mesure de justifier sa présence. Dans ce cas, l'étranger pourra faire l'objet d'une retenue administrative, à l'issue de laquelle la préfecture va examiner la situation personnelle de la personne et apprécier son droit au séjour. La préfecture peut éloigner du territoire un étranger en situation irrégulière seulement s'il possède un document de voyage, c'est-à-dire un passeport valide, et un billet d'avion. Dans le cas où le retenu ne dispose pas d'un passeport, la préfecture doit s'adresser au consulat du pays d'origine pour que lui soit délivré un laissez-passer consulaire. Un laissez-passer est un document de voyage que les autorités administratives françaises vont demander au consulat du pays d'origine de l'intéressé. Ce document reconnaît l'étranger comme ressortissant du pays afin qu'il puisse y être renvoyé.

La rétention est donc décidée par l'administration et permet de maintenir dans un lieu fermé un étranger qui fait l'objet d'une décision d'éloignement dans l'attente de son renvoi forcé.

Un centre de rétention administrative, dit CRA, est un lieu de privation de liberté. Les CRA sont sous la responsabilité de la Police aux frontières, dite PAF, qui est une direction spécialisée de la Police nationale. La PAF assure la sécurité et la surveillance du CRA et escorte les retenus vers les tribunaux quand ils ont une audience ou vers les aéroports.

Dans un premier temps, la loi dispose que l'étranger peut être privé de sa liberté pour une durée de 48 heures afin que les autorités administratives organisent son départ forcé. À la suite de ces 48 heures, si l'étranger n'a pas pu être éloigné, la préfecture en charge de son dossier doit saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) pour une première prolongation.

Le JLD peut examiner deux requêtes. D'une part, le recours de la personne retenue contre la décision de placement en rétention, lorsqu'une telle requête a été introduite et d'autre part, une requête du préfet tenant à la prolongation du maintien en rétention. Cette privation de liberté est sous l'égide d'une autorisation préalable du JLD.

Le juge vérifie alors la régularité de la procédure qui a précédé l'enfermement dans le centre de rétention (contrôle d'identité, interpellation, garde à vue, transfert au centre de rétention, droits au centre de rétention, etc).

Si le juge estime que la décision initiale de placement en rétention est illégale et/ou que la procédure d'interpellation est irrégulière, la personne est libérée.

S'il estime que la décision initiale de placement en rétention est légale et/ou que la procédure d'interpellation est régulière, la prolongation de la rétention est accordée par le juge pour une durée de 28 jours.

Ensuite, à l'issue de ce délai de 30 jours, si la préfecture n'a toujours pas pu organiser le départ de la personne, elle peut demander une seconde prolongation de 30 jours au JLD. Ultérieurement et de manière exceptionnelle, le JLD peut prononcer une prolongation de 15 jours renouvelable une fois.

À la fin de la quatrième prolongation, la préfecture est obligée de libérer la personne, sans pour autant que sa situation ne soit régularisée. Elle est alors remise en liberté, l'obligation de quitter le territoire lui est rappelée et elle doit en principe exécuter par elle-même cette décision. Dans certains cas, la préfecture peut toutefois décider de l'assigner à résidence.

En conclusion, la durée maximale de la rétention administrative est de 90 jours : 48 heures + 28 jours + 30 jours + 15 jours + 15 jours, sauf en cas d'activités terroristes.

Au sein de chaque centre, les personnes retenues disposent de droits comme celui d'accéder à un service médical, de communiquer avec l'extérieur par le biais des cabines téléphoniques mises à leur disposition, de l'aide juridique et de déposer une demande d'asile dans les 5 jours qui suivent leur arrivée.

Au Tribunal judiciaire de Marseille, dont l'annexe se trouve à Bougainville dans le 14ème arrondissement à côté de la police nationale et du CRA, il y a trois entrées. Une entrée pour les avocats, le JLD, son greffier et la/le représentant de la préfecture, une seconde pour la famille des personnes retenues et une troisième pour les personnes retenues au CRA qui arrivent et repartent sans menottes.

Est mise à disposition une salle pour les entretiens individuels avec la personne retenue et son avocat. Concernant la disposition des personnes dans la salle d'audience, plusieurs rangs de chaises sont à la disposition des familles des retenus. En face, sur une petite estrade se trouve le JLD. À sa gauche, sa greffière qui note le déroulé et le délibéré de chaque audience. La personne retenue se présente devant le JLD, avec à sa droite son avocat et à sa gauche un interprète, si nécessaire, puis la/le représentant de la préfecture qui demande la prolongation de la rétention.

Nous avons donc assisté aux déroulés de six audiences sur la question de la prolongation de la rétention administrative. Nous en avons sélectionné trois que nous allons détailler ci-après.

Dans la première affaire, Monsieur K était retenu au sein du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille depuis 75 jours. La juge des libertés et de la détention (JLD) a été saisie par l'autorité administrative aux fins d'une quatrième prolongation de la rétention.

Les conditions pour une troisième ou quatrième prolongation sont plus strictes, ainsi, pour que la prolongation soit validée par le juge, il faut au moins une des conditions suivantes :

« 1° L'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la décision d'éloignement ;

2° L'étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d'éloignement :

une demande de protection contre l'éloignement au titre du 9° de l'article L. 611-3 ou du 5° de l'article L. 631-3 ;

ou une demande d'asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai. ». [1]

En l'espèce, les autorités administratives n'ont pas réussi à éloigner Monsieur K en raison de l'annulation de deux vols d'avion du fait d'un mouvement de grève. Aucune condition n'étant remplie, la juge n'a pas accordé la prolongation de la rétention administrative.

Il sera toutefois maintenu pendant 10 heures au CRA, puisque le préfet peut faire appel de la décision dans ce délai. Sinon, Monsieur K sera assigné à résidence le temps de la préparation de son départ.

L'assignation à résidence est une mesure qui vise à restreindre la liberté d'aller et venir de l'intéressé. La personne est tenue de rester dans les limites d'un territoire donné. Cette mesure peut être assortie d'une obligation de pointage en commissariat ou d'une astreinte à domicile (la personne ne peut sortir de chez elle).

Dans la deuxième affaire, Monsieur H était retenu au sein du CRA depuis 30 jours. Les autorités administratives ont saisi la JLD pour une deuxième prolongation, c'est-à-dire maintenir l'étranger 30 jours de plus afin de préparer son retour.

Il faut savoir que les autorités administratives sont censées exercer toute diligence nécessaire au départ de l'étranger afin qu'il ne soit maintenu que le temps strictement nécessaire à son départ. [2] Cependant, lorsque l'administration ne peut effectivement éloigner l'intéressé, elle peut demander la prolongation de la rétention si l'une des conditions suivantes est remplie :

« 1° En cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ;

2° Lorsque l'impossibilité d'exécuter la décision d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement ;

3° Lorsque la décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison :

a) du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la décision d'éloignement ;

b) de l'absence de moyens de transport. ». [3]

Le troisièmement de l'article tenait à s'appliquer en l'espèce puisque l'administration n'avait pas encore obtenu de laissez-passer de la part du consulat algérien et ne pouvait pas, par conséquent, procéder à l'éloignement de l'étranger.

Toutefois, l'accord de ces documents de voyages est subordonné à la bonne entente entre les Etats. À titre d'exemple, les relations diplomatiques entre la France et l'Algérie s'étaient complexifiées dernièrement, la France avait donc réduit la délivrance de visas pour les Algériens et l'Algérie quant n'accordait plus de laissez-passer pour ses ressortissants en rétention en France. Or, cela a des conséquences sur la régularité de la rétention puisque s'il est établi qu'il n'y a pas de perspective raisonnable d'éloignement tel que l'exige la Directive retour [4], l'étranger sera remis en liberté.

En l'espèce, l'avocate a plaidé cet argument. Il n'a cependant pas été retenu par la JLD puisque les relations diplomatiques entre la France et l'Algérie reprennent, ce qui laisse entendre qu'un laissez-passer serait rapidement délivré et donc que l'étranger allait pouvoir être éloigné à bref délai.

Une deuxième prolongation a donc été accordée, l'étranger est maintenu en rétention jusqu'à son éloignement effectif.

Dans la troisième affaire, Monsieur B est placé en CRA depuis 30 jours, la JLD a donc été saisie pour une deuxième prolongation. L'intéressé fait part qu'il est fatigué, qu'il a une petite fille et bébé qui est né alors qu'il se trouvait en détention. Il relate qu'il ne peut pas voir car sa femme n'est pas autorisée à lui rendre visite au CRA du fait de l'irrégularité de sa situation. Sa famille est venue le soutenir à l'audience, un moment chaleureux et triste à la fois.

L'avocate de l'intéressé a également plaidé qu'il n'y avait pas de perspective raisonnable d'éloignement du fait du gel des relations diplomatiques entre la France et l'Algérie. Elle demande l'assignation à résidence, ce qui a été refusé par la juge étant donné que l'étranger n'avait pas de passeport en sa possession. À cet effet, la loi dispose qu'en l'absence de garanties de représentation effectives (carte d'identité, passeport, justificatif de domicile), l'assignation à résidence ne peut être prononcée.

Ainsi, du fait de la reprise des relations diplomatiques entre les deux Etats concernés et de l'absence de passeport de l'étranger, la prolongation de la rétention a été accordée. Le retenu, comme tous les autres, a 24h pour faire appel de la décision de la JLD.


Retour en images sur notre déplacement à Marseille

Bâtiment de la Police Aux Frontières (PAF), direction spécialisée de la Police Nationale

Extérieur du Centre de Rétention Administrative (CRA)

Annexe du Tribunal judiciaire

[1] Article L.742-5 du CESEDA

[2] Article L.741-3 du CESEDA

[3] Article L.742-4 du CESEDA

[4] Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008


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