Sauvetage en mer : entre aide humanitaire et enjeux politiques
« Bateaux humanitaires », « navire humanitaire » « bateaux de migrants », « navire de sauvetage en mer » … il s'agit d'autant d'appellations qui désignent les navires destinés à sauver de la noyade les migrants fuyant leur pays par la mer.
Lesdits migrants sont prénommés les « boat-people », soit « les réfugiés en mer ». Ils décident de fuir leur pays d'origine pour diverses raisons au moyen de bateaux impropres à la navigation, et ce, de façon clandestine par le biais de passeurs.
Pour nombre d'entre eux, ce modeste navire représente à la fois le dernier espoir de survie, mais aussi le début d'un cauchemar. En effet, les boat-people subissent souvent la violence des passeurs, de graves blessures au cours de la traversée voir le décès en mer. En 2021, près de 123 300 migrants traversaient la Méditerranée et près de 3 231 y ont laissé la vie [1]. Il s'agit d'une augmentation de 40 % par rapport à 2020.
En droit, la difficulté rencontrée par les réfugiés en mer est la pluralité des États responsables de leur demande d'asile. Selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le sauvetage en mer d'un bateau en difficulté est obligatoire.
Pourtant, en pratique, les États privilégient la lutte contre l'immigration irrégulière et le trafic de migrant par le biais de l'agence européenne de garde-frontières et de gardes-côtes (Frontex). En octobre 2020, l'agence européenne ira jusqu'à se voir accusée de refouler volontairement les réfugiés en mer [2].
À ce titre, la bataille menée, en novembre 2022, par l'Ocean Viking aux fins d'obtenir l'autorisation d'accoster sur les berges d'un des États membres est particulièrement représentative du dilemme rencontré par les navires humanitaires. La volonté des États de se soustraire à leurs obligations constitue un frein au débarquement dans un lieu sûr des personnes secourues.
Pour autant, les textes sont clairs : est responsable dudit débarquement l'État responsable de la zone de recherche et de sauvetage (zone SAR) [3] où se trouve le navire en danger. Néanmoins, l'Ocean Viking n'est pas l'unique bateau humanitaire à avoir été confronté à telle situation, on trouve l'Aquarius ou encore le Lifeline.
En 2011, l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe appelait déjà les États à répondre « sans exception et sans délai à leur obligation de secourir les personnes en détresse en mer » [4]. Toutefois, encore aujourd'hui, et suite au durcissement de la politique migratoire par les États membres de l'Union européenne, on peut lire « le navire humanitaire "Louise Michel" de Banksy est immobilisé par l'Italie car il a secouru trop de migrants » [5].
Un énième obstacle rencontré par les réfugiés en mer réside dans le danger que représente la fuite par voie maritime. Au-delà du risque de décès, le trafic de boat-people est d'une dangerosité extrême en raison de la brutalité infligée par les passeurs.
Ces actes de violences sont endurés par les réfugiés en mer dans l'espoir de pouvoir traverser clandestinement les frontières d'un pays d'origine où leur vie est en jeu. Pour eux, il s'agit de fuir l'horreur en traversant l'horreur.
Cette traversée de l'enfer n'aura cependant, à leur arrivée, aucun poids juridique dans leur demande d'asile. Et pour cause, la violence subie sur le parcours migratoire est abordée dans la demande d'asile, mais n'a aucune influence dans la décision d'octroi ou de rejet du statut protecteur. Zone d'ombre souhaitée ou non par les États dans la procédure d'asile ? La question demeure en suspens.
Les bateaux humanitaires affrétés par diverses ONG incarnent pour beaucoup une délivrance après l'épopée de l'horreur. Une délivrance qui, comme nous avons pu le voir, évoque pour d'autres un tourment politique. Cette ambivalence caractérise l'ensemble des questionnements soulevés par les associations et les États en matière d'accueil et de gestion des flux migratoires.


[1] UNHCR, Les statistiques du HCR sur les traversées de la Méditerranée révèlent un nombre croissant de morts et de tragédies en mer, 10 juin 2022
[2] Le Monde, Migrations : l'agence européenne Frontex mise en cause pour des refoulements en mer, 24 octobre 2020
[3] Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes
[4] Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, L'interception et le sauvetage en mer de demandeurs d'asile, de réfugiés et de migrants en situation irrégulière, résolution 1821, 2011
[5] Franceinfo, "Cette politique est meurtrière" : le navire humanitaire "Louise Michel" de Banksy est immobilisé par l'Italie car il a secouru trop de migrants, 5 avril 2023